Télécharger le programme des Journées d’études : la prothèse qui fait peur
L’une des scènes emblématiques du cinéma de Stanley Kubrick est celle de « Docteur Folamour » où le savant fou –un nazi – est sur le point d’être étranglé par sa main artificielle, peu avant la fin de la civilisation humaine entière dont il s’avère l’allégorie. La prothèse focalise sur elle non seulement les espoirs et promesses d’une amélioration constante de la condition humaine –ce que l’on appelle « progrès »–, mais également les craintes que ce qui est conçu comme un supplément ne développe une autonomie incontrôlable et meurtrière, que ce soit par magie ou par intelligence artificielle. Relevant à la fois de l’humain et de la technologie, jusqu’au point de l’indistinction, la prothèse rassemble sur elle toute la problématique de l’instrument-médium et de l’homme-machine (poupées, robots androïdes, cyborgs). Sa propriété serait plus particulièrement qu’elle menace ce qui se veut propre.
Partant d’une base aussi large que possible –celle de l’histoire culturelle des artefacts et techniques qui « augmentent » l’humain– nous nous intéressons surtout au point de bascule toujours inhérent au concept d’identité même, qui est mise au défi par les prothèses.
Notre réflexion part alors du constat du caractère invasif, non seulement des prothèses dernière génération, mais surtout de la métaphore prothétique dans la pensée contemporaine héritière de Heidegger, Mac Luhan, Leroi-Gourhan ou de la French Theory. Car le succès de cette métaphore n’est pas sans lien avec les progrès considérables des techniques endoprothétiques depuis le XXe siècle.
Les journées se fixent comme objectifs :
- d’analyser les différents usages du terme de « prothèse » comme métaphore heuristique en philosophie, en médiologie (les médias comme prothèses cognitives) ou en sociologie (par exemple : le smartphone comme prothèse informatique).
- de revenir sur l’histoire culturelle et littéraire de la prothèse, de la proto-prothèse de Pélops à la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt.
L’idée que les prothèses n’ont pas qu’une fonction réparatrice de l’homme diminué, mais qu’elles peuvent être une extension du corps et de ses facultés n’est pas nouvelle et a toujours fasciné l’opinion. Les premières lunettes furent perçues dans l’imaginaire collectif de la fin du Moyen Âge comme un outil de leurre et de transfiguration de la réalité, ce que sont aujourd’hui les lunettes connectées comme système de réalité augmentée. La main de fer de Götz von Berlichingen décuplait selon la légende la puissance de frappe du chevalier, de même que l’on suspecta les lames de course d’Oscar Pistorius de conférer au coureur amputé un avantage mécanique. Il est possible aujourd’hui de concevoir artisanalement un deuxième pouce greffé pour améliorer la préhension ou encore de développer un bras bionique comme prothèse augmentative.
- d’étudier l’effacement de la frontière entre le vivant et l’inerte, située en particulier à l’interfaçage entre tissus biologiqueset matériaux biocompatibles (notamment interfaces céramique-cellules reconstructrices).
- de réfléchir aux implications éthiques, politiques, sociales de l’humain augmenté. Ce dernier point notamment relève des compétences du MIMMOC.